Discepolín Sobre el mármol helado, migas de medialuna Y una mujer absurda que come en un rincón… Tu musa está sangrando y ella se desayuna… El alba no perdona ni tiene corazón. Al fin, quién es culpable de la vida grotesca Y del alma manchada con sangre de carmín Mejor es que salgamos antes de que amanezca, Antes de que lloremos, viejo Discepolín Conozco de tu largo aburrimiento Y comprendo lo que cuesta ser feliz, Y al son de cada tango te presiento Con tu talento enorme y tu nariz; Con tu lágrima amarga y escondida, Con tu careta pálida de clown, Y con esa sonrisa entristecida Que floreces en verso y en canción. La gente se te arrima con su montón de penas Y tú las acaricias casi con un temblor… Te duele como propia la cicatriz ajena: Aquél no tuvo suerte y ésta no tuvo amor. La pista se ha poblado al ruido de la orquesta Se abrazan bajo el foco muñecos de aserrín… No ves que están bailando No ves que están de fiesta Vamos, que todo duele, viejo Discepolín… Homero Manzi, en hommage à son ami E. S. Discépolo | Discepolín Sur le marbre glacé, des miettes de croissants, Et une femme absurde qui mange dans un coin… Ta muse est en sang et elle, elle casse la croûte… L’aube ne pardonne rien, elle n’a pas de cœur. À la fin, qui est coupable de la vie grotesque Et de l’âme tachée de sang carmin ? Mieux vaut partir avant que le jour ne se lève, Avant de nous mettre à pleurer, mon vieux Discepolín. Je connais ton immense ennui Et je comprends ce qu’il en coûte d’être heureux, Et au son de chaque tango je te pressens Avec ton énorme talent et ton nez ; Avec l’amertume de ta larme dissimulée, Ton pâle minois de clown, Et ce sourire attristé Que tu fais fleurir en poèmes et en mélodies. Les gens s’accrochent à toi avec leurs amas de souffrances Et tu les caresses avec une sorte de frisson… Tu as mal à la cicatrice des autres : Celui-ci n’a pas eu de chance et celle-là n’a pas trouvé l’amour. La piste s’est peuplée au son de l’orchestre, Des pantins de sciure s’étreignent sous les spots… Tu ne vois pas qu’ils dansent ? Tu ne vois pas qu’ils font la fête ? Allons-nous en, car tout fait mal, mon vieux Discepolín… Traduction Michel Balmont |